Chris Wickham
Somnambules d’un nouveau monde
L’émergence des communes italiennes au XIIe siècle
Traduit de l’anglais par Jacques Dalarun.
272 p. ISBN 978-2-930601-45-8. 19 euros.
3 décembre 2021
Lorsque le royaume d’Italie, aux XIe et XIIe siècles, se désintègre, une nouvelle forme de gouvernement collectif – la commune – apparaît dans les villes du nord et du centre de la Péninsule. Ce livre jette un regard neuf et audacieux sur la manière dont ces Cités-États autonomes ont vu le jour, et modifie fondamentalement notre compréhension de l’une des plus importantes innovations politiques et culturelles du monde médiéval. À mesure que l’ordre ancien s’effaçait, ces communes ont émergé, gouvernées par des élites consulaires « choisies par le peuple » et dont le pouvoir ne relevait ni de l’empereur ni du roi – quand bien même elles n’étaient en aucun cas une forme de démocratie au sens moderne du terme. Elles s’affrontaient régulièrement mais furent suffisamment organisées et confiantes pour s’allier et vaincre Frédéric Barberousse, l’empereur allemand, à la bataille de Legnano en 1176. À partir de l’étude de cas de trois villes – Milan, Pise et Rome –, Chris Wickham soutient que, dans la plupart des cas, ces élites ont développé l’une des premières formes de gouvernement non monarchique de l’Europe médiévale sans se rendre compte qu’elles créaient quelque chose de tout à fait nouveau. Les acteurs des premières Cités-États autonomes ne furent que des somnambules, mais ils allaient ensuite rendre possible la culture civique de la Renaissance.
« Le fait est que les communes italiennes ont été amplement désignées, souvent sans grande réflexion, comme un des tremplins vers le monde moderne, citées comme exemple de collaboration de la base vers le sommet, pour leur prise de distance d’avec les institutions monarchiques, invoquées pour leur créativité institutionnelle ou pour leur culture laïque, supposée plus « moderne » par conséquent. À mon sens, ce genre d’interprétation est fondamentalement erroné, comme le sont toutes les lectures téléologiques de l’histoire. Mais toutes les descriptions ne sont pas fausses pour autant. Les communes se caractérisèrent en effet par une réelle créativité institutionnelle (ne serait-ce que parce que leurs institutions avaient tendance à échouer) et il est vrai aussi qu’elles étaient fondées sur un mouvement de la base vers le sommet (même si elles étaient profondément traversées par des valeurs et des rivalités de type hiérarchique, militaire et aristocratique). Ces traits étaient de vraies nouveautés et leurs contradictions mêmes les rendent à la fois intéressants et difficiles à expliquer. Ces contradictions vont donc être au cœur du présent ouvrage et elles se résument au mieux par un simple constat. Les cités de l’Italie centrale et septentrionale, disons aux alentours de 1050, étaient dirigées par des élites aristocratiques et militaires – cléricales également – qui avaient pour l’essentiel les mêmes pratiques et les mêmes valeurs que celles de tout le reste de l’Europe latine. Même si elles étaient parfois difficiles à contrôler, ces élites faisaient, comme partout ailleurs, partie intégrante de hiérarchies qui remontaient jusqu’aux évêques, aux comtes, au roi ou à l’empereur, dans le cadre d’un royaume d’Italie cohérent. En revanche, disons vers 1150, les cités en question étaient dirigées par des élites qui pouvaient fort bien être issues des mêmes familles, mais qui avaient développé des formes autonomes et inédites de gouvernement collectif. Le nouveau régime reposait sur le mandat annuel des consuls dans plus de cinquante cités, dont presque aucune ne se tournait plus – si ce n’est formellement – vers des puissances supérieures qui, de surcroît, n’avaient de cesse de s’affronter. Ces gouvernements paraissaient franchement radicaux aux étrangers. Quelques années plus tard, ils étaient suffisamment organisés et sûrs d’eux-mêmes pour s’allier et combattre de conserve la plus sérieuse tentative faite par un empereur, en deux siècles, pour contrôler l’Italie en profondeur : l’entreprise de Frédéric Barberousse, dans les années 1158-1177. Les communes étaient un nouveau monde. Et pourtant, leurs citoyens opérèrent ce changement, si spectaculaire à nos yeux, sans jamais, à de rares exceptions près, montrer le moindre signe qu’ils avaient conscience de faire du neuf. Que pensaient-ils donc faire ? Que pensaient-ils donc faire ? »
SOMMAIRE
À propos des noms de personne
Chapitre 1 – Communes
Chapitre 2 – Milan
Chapitre 3 – Pise
Chapitre 4 – Rome
Chapitre 5 – Italie
Bibliographie
Index des noms de personne et de lieu
Liste des cartes
Remerciements
Chris Wickham est professeur émérite d’histoire médiévale à l’université d’Oxford.