William Cronon
Chicago, métropole de la nature
640 p. ISBN 978 293 0601 38 0. 32 euros.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Philippe Blanchard
Préface de Grégory Quenet.
11 juin 2021
Ouvrage publié grâce au mécénat de McKay Brothers.
« Il fallait oser. Pour dire aux lecteurs francophones qu’ils étaient passés à côté d’un maître livre paru en anglais il y a maintenant presque trente ans, et peu reçu en France. Pour engager la traduction d’un volume de cette dimension, plus de 600 pages avec références érudites, de quoi faire reculer presque tous les éditeurs d’aujourd’hui. Pour parier sur l’intérêt des lecteurs pour un ouvrage si états-unien d’apparence, consacré à une ville et à son arrière-pays lorsque tout ouvrage ambitieux d’aujourd’hui vise au moins la globalité du monde, au mieux la planète et le siècle à venir.
Dans Chicago, métropole de la nature, tout est hors-norme. L’auteur tout d’abord, William Cronon, devenu célèbre pour avoir écrit avant ses trente ans le premier best-seller de l’histoire environnementale – Changes in the Land : Indians, Colonists, and the Ecology of New England (1983) – issu d’un mémoire de master à l’université de Yale, puis Chicago, métropole de la nature (1991), finaliste du prix Pulitzer, avant ses quarante ans. La durée de l’écriture ensuite, douze années débutées par une première version sous la forme d’une thèse et poursuivie par une réécriture continue, pesée au mot près, la marque de fabrique de l’auteur. Tout lire ou presque de ce qui a été publié sur le sujet, en travaillant dans près de quarante bibliothèques différentes, toutes citées dans les remerciements, qui ose encore le faire ? Les conditions de possibilités ne sont qu’évoquées par une modeste allusion de la préface, cette bourse Mac Arthur qui est un des plus prestigieux prix des Etats-Unis, un demi million de dollars à utiliser comme on veut, sans aucun contrôle, de quoi faire pâlir n’importe quel bureaucrate zélé du financement de la recherche. Le projet, enfin, qui semble fou : écrire un livre sur Chicago et les Grandes plaines qui ne parlerait ni de Chicago ni des Grandes plaines mais de la façon dont la ville et la nature s’assemblent pour donner naissance à une métropole de rang mondial dans un contexte régional. C’est la raison de l’incompréhension que le livre a suscité en France lors de sa parution, compris comme la version prétendument neuve d’un modèle classique de l’histoire économique et sociale des Annales, l’analyse des relations entre une ville et son arrière-pays à partir des aires d’approvisionnement. Chicago, métropole de la nature n’est rien de tout cela ; pas plus qu’une analyse exhaustive des quartiers et de l’urbanisme de Chicago, de ses élites et de sa sociologie, des fonctions urbaines et de leur évolution ; pas plus qu’un tableau des États des Grands plaines, une étude du monde rural, une série de monographies de villes. Tous ces points sont abordés mais sélectivement et en coupe, pour relier un monde à un autre.
Ces louanges faites, il est inutile de les poursuivre car c’est ce que l’on attend d’un éditeur à large vue, savoir prendre des risques et parier sur un livre. Le plus remarquable dans la décision de publier ce livre en français aujourd’hui me semble donc ailleurs : avoir pressenti que ce classique, reconnu, cité et lu dans le monde entier, n’était justement plus un classique mais avait pris un sens nouveau, comme seuls les grands livres peuvent le faire. Et pour cela pas d’autre solution qu’une traduction, c’est-à-dire un transfert qui permette de recevoir à nouveau ce texte, sous un jour neuf, dans un horizon d’attente renouvelé. Ce nouveau livre s’adresse donc aussi bien à ceux qui ne l’auraient pas encore lu qu’à ceux qui l’auraient lu auparavant dans sa version anglaise. »
Grégory Quenet, extrait de la préface